François Rabelais est un auteur emblématique de la première moitié du XVIe siècle ainsi que du mouvement humaniste. Il a été durant sa vie moine, médecin et érudit. Ses écrits font le lien entre la culture savante et la culture populaire.
Rabelais est l’auteur d’un cycle romanesque dont les deux premiers tomes sont Pantagruel (1532) et Gargantua (1534) mettant en scène des géants des folklores médiévaux dans des romans de chevalerie parodiques. Cependant, il y intègre une réflexion sur des sujets contemporains comme l’éducation, la religion et l’exercice du pouvoir. Ainsi il donne à lire les thèmes liés à l’humanité ce qui lui vaut d’être censuré surtout pour le manque de respect à l’égard des institutions religieuses dans ses romans.
Il s’agit du prologue du deuxième roman du cycle romanesque de Rabelais, Gargantua, qui parut en 1534. Ce roman raconte l’histoire de Gargantua, le père de Pantagruel, personnage du roman paru en 1532.
Rabelais écrit ses romans sous le pseudonyme d’Alcogribas Nasier.
Présentation de l’extrait : place dans l’œuvre, sujet, thèmes
Situation : cet extrait correspond au début du prologue de Gargantua qui suit l’avis aux lecteurs. Cet avis aux lecteurs invite à lire le roman comme un simple divertissement ayant pour but de faire rire.
Le texte : ce prologue est un texte énigmatique, qui propose une lecture un peu plus profonde que l’avis aux lecteurs.
Problématique/enjeux du texte
Rabelais met d’abord en évidence la pure fantaisie présente dans son roman puis il met en avant les enseignements que l’on peut en tirer. Gargantua est présenté comme un roman-silène, c’est-à-dire à apparence trompeuse.
Mouvements :
“Buveurs” à “tant” : une double illustration de l’opposition entre apparence et profondeur.
“À quelle fin” à “la boîte” : la visée du roman : l’invitation à une lecture « à plus haut sens ».
Conclusion :
Synthèse et réponse à la problématique
Le prologue de Gargantua peut être vu comme une mise en garde contre le jugement hâtif basé sur les apparences trompeuses. Le titre du roman pourrait sembler grotesque, mais en réalité, il cache un savoir caché. Le narrateur n’hésite pas à utiliser l’humour tout au long du prologue, ce qui suggère que le rire est plus qu’un simple obstacle à surmonter, mais plutôt un élément clé de la lecture de l’œuvre. En effet, dans les écrits de Rabelais, le rire est inextricablement lié à la réflexion et constitue en soi un mode de lecture.
Ouverture
D’autres auteurs, tels que Voltaire dans Candide, ont utilisé l’apparence légère d’un conte pour dissimuler un message plus profond et sérieux.
Développement :
Mouvement 1 : une double illustration de l’opposition entre apparence et profondeur
“C’est à vous” ➝ restriction des lecteurs à un cercle d’initiés : parodie de la captatio benevolentiae, la 1re étape d’un discours.
“Alcibiade […] semblable aux silènes” :
référence sérieuse, issue de la culture savante ➝ rupture
rapprochement entre Socrate et les silènes
point commun entre l’apostrophe “Buveurs très illustres” et le banquet de Platon ➝ espace commun de la boisson et du savoir : Rabelais ne veut pas séparer la culture savante de la frivolité populaire
“harpies, satyres […], cerfs harnachés” ➝ accumulation grotesque de créatures imaginaires ou mythologiques.
“pour inciter le monde à rire” ➝ complément circonstanciel de but : fait de divertir.
“baume, l’ambre gris […], autres choses précieuses” ➝ énumérations de substances scientifiques/thérapeutiques rares (“précieuses”) : listes à caractère sérieux.
“Tel était Socrate […] son divin savoir” ➝ portrait physique, social et économique dégradant de Socrate : accumulation d’adjectifs dépréciatifs.
Anaphore de “toujours” qui est associé à des participes présents : exprime un état permanent de jovialité chez Socrate.
“riant”, “buvant”, “dissimulant son savoir” ➝ association de la gaîté, de l’ivresse et du savoir : figure rabelaisienne par excellence.
Métaphore qui fusionne Socrate et les silènes (“cette boîte”) ➝ l’apparence déplaisante de Socrate renferme de fabuleuses qualités.
“plus qu’humain” ➝ adjectif mélioratif + comparatif de supériorité : Socrate est une figure d’exception, “le prince des philosophes”.
Mouvement 2 : la visée du roman : l’invitation à une lecture « à plus haut sens »
“À quelle fin” ➝ interrogative indirecte qui s’adresse aux lecteurs : invite à réfléchir quant au sens à donner à ce qui précède (analogie entre Socrates et les silènes).
“bons disciples” + “fous oisifs” ➝ cercle encore restreint.
“et quelques autres” ➝ opposition avec “non à d’autres” du début du texte : cercle s’élargit.
“Gargantua […] Des poids aux lards (avec commentaires)” ➝ énumération de nom de livre mélangeant le réel (Gargantua, Pantagruel) et des noms parodiques et grotesques : correspondent à la surface des œuvres.
“l’enseigne extérieur” ➝ métaphore qui invite au franchissement.
“moqueries, folâtreries et mensonges joyeux” ➝ lexique du rire : convoque le comique sous de multiples formes.
“l’habit ne fait pas le moine” ➝ proverbe de culture populaire au présent de vérité générale : dissociation du paraître et de l’être.
“un tel qui sera vêtu […] propre à l’Espagne” ➝ deux exemples qui appuient l’idée de dissociation du paraître et de l’être.
Cependant, rapport apparence/profondeur inversé, ici apparence sérieuse mais intérieur frivole ➝ annule la promesse d’un “plus haut sens caché”.
“vous comprendrez” ➝ promet au lecteur une plus haute intelligibilité, l’accès à un savoir supérieur qui guérit, comme le contenu des silènes.